Culture - Art, Libre

La licence Art Libre ou la propriété universelle

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LentCiné, collectif de production et de diffusion de films sous licences libres, travaille actuellement à la fabrication du documentaire « Sortir du cadre », dédié à l’art sous licences libre. Alors, l’art libéré de notion de propriété, concept idéaliste ou projet de société ? Tristan Duval, co-réalisateur du film, nous éclaire sur ce sujet à la contrée du droit et de la philosophie.

Fondé en 2016, le collectif LentCiné organise tous les ans le festival de films libres « Nos Désirs Sont Désordre », qui aura lieu du 10 au 12 avril 2020 à Lille. Outre leur documentaire en cours, le collectif travaille à la création d’une plateforme en ligne, qui proposerait une riche base de données de films sous licence libre. Tristan Duval, co-fondateur du collectif, co-réalise « Sortir du cadre » avec Pablo Albandea.

Qu’est-ce que l’art sous licence libre ?

T.D : Je vais vous citer la première phrase du préambule de la licence Art Libre : « L’autorisation est donnée de copier, de diffuser et de transformer librement les œuvres dans le respect des droits de l’auteur. »

Bande annonce du documentaire « Sortir du cadre »

Tout part des logiciels libres nés dans les années 80. À la base, Internet était un lieu de partage, puis certains ont amené le concept de propriété. En parallèle se sont développées les licences libres comme la GPL. Quand Antoine Moreau cherche à savoir si le concept de logiciel libres existe dans l’art, il constate que c’est la GPL qui est utilisée alors qu’elle n’est pas vraiment adaptée au sujet. Ainsi, à la fin des années 90, Antoine Moreau (et d’autres) décident de créer une licence dédiée, la licence Art Libre.

Ce concept d’art libre part-il du principe que nous sommes tous artistes ?

T.D : On devrait tous l’être en tout cas ! Les gens se représentent en général l’artiste comme une figure romantique, quelqu’un qui a un don. Ils ne s’imaginent pas pouvoir créer eux-mêmes. C’est juste une question de temps et de moyens. Des moyens philosophiques d’abord, puis financiers. Tout cela débouche sur un autre modèle de société, qui envisage une décorrélation entre les moyens de subsistance et le travail.

Extrait du documentaire « Sortir du cadre »

Pensez-vous que la propriété intellectuelle et le droit d’auteur soient des concepts marchands ?

T.D : Globalement, oui. Ils ont été créés en grande partie pour ça, mais tout n’est pas à jeter dans le droit d’auteur. Il existe le droit moral qui est très important. Souvent les artistes nous disent : « C’est super la licence Art Libre, mais si l’extrême droite reprend mes œuvres, je fais quoi ?! ». Ils ont peur de ça. Le droit moral prévoit un recours judiciaire de la part de l’artiste, si jamais il s’oppose à l’utilisation qui est faite de son œuvre. Ce qui pose plus problème, c’est le droit patrimonial, c’est-à-dire je vends l’œuvre à quelqu’un, qui la vend à un autre, qui la revend encore à un autre, et ainsi de suite. Et au bout de 70 ans après la mort de l’artiste, l’œuvre tombe dans le domaine public. Avec ce système, très peu d’artistes sont propriétaires de leurs œuvres, très peu les récupèrent. La propriété intellectuelle recouvre un champ plus large que le droit d’auteur. Les brevets rentrent dedans. Elle comporte aussi les droits voisins, qui concernent les intermédiaires (producteurs, éditeurs…). Ils ont pris beaucoup de place dans la création artistique et rognent financièrement sur les droits d’auteur. Les artistes gagnent de moins en moins et les intermédiaires toujours plus.

Si l’art est libre, quelle économie envisagez-vous ?

T.D : Regardez le catalogue de la SACEM. Sur tous les artistes répertoriés, très peu vivent de leur musique. Ce constat est général. Aujourd’hui, les artistes sont dans la débrouille ; un peu de RSA, une commande par-ci, une commande par-là. David Revoy, l’auteur de la webcomic Pepper&Carrot, est un bel exemple d’artiste qui a trouvé le moyen de vivre de son art sous licence libre. Chaque épisode publié est financé par crowdfunding. Il récolte via sa communauté, fidèle et internationale, 1500 à 2000 euros par épisode.

L’éditeur de bandes dessinées GLÉNAT le repère et décide de le publier, mais comme il est sous licence libre, GLÉNAT n’est pas obligé de faire un contrat. Ils ont négocié de participer financièrement à chaque épisode, en l’échange de la publication de ses planches. Ils vendent la BD moins cher, puisqu’elle leur coûte peu. Ça a créé une polémique du côté des artistes. Ils ont préféré taper sur l’auteur qui acceptait ça, plutôt que sur l’éditeur ou même sur les droits d’auteur, alors que ce sont eux qui précarisent les artistes, pas l’inverse ! Tout cela est à la marge, dans les interstices du capitalisme. Tant qu’on ne rebattra pas les cartes, on ne trouvera pas de solutions pérennes.

Vous avez-vous-même lancé une campagne de crowdfunding pour poursuivre le tournage du documentaire. Est-ce plus satisfaisant de demander aux gens qu’aux institutions ?

T.D : On ne voulait pas de ce modèle et on espérait trouver assez d’argent via les collectivités. C’était la première fois qu’on remplissait des dossiers de subventions. Est-ce parce qu’on n’a pas eu les codes ou les bons mots ? Est-ce à cause du sujet peu consensuel de notre projet ? Ces jurys sont composés de professionnels qui ont réussi à vivre dans ce système, c’est le haut du panier. Ils ne voient sûrement pas pourquoi on en changerait. Quant au CNC, il faut déjà avoir été diffusé à la télé, dans un festival ou sur une chaîne qui compte des milliers d’abonnés, pour demander une aide de sa part. C’est un système de financement du cinéma qui donne à ceux qui ont déjà. Nous nous sommes donc tourné vers le crowdfunding et finalement, on réalise que les gens nous soutiennent, que des inconnus donnent et croient en notre projet… Ça nous fait beaucoup de bien !

Propos recueillis par Nathalie Troquereau

Pour participer, c’est ici : http://lentcine.tuxfamily.org/sortir-du-cadre/

Pour aller plus loin :

Image de Nathalie Troquereau

Nathalie Troquereau

Journaliste, rédactrice de contenus pour Médias-Cité.