Citoyenneté, Libre

Internet et libertés, 15 ans de combat de la Quadrature du Net

6 minutes
Ceci est un ouvrage qui devrait se retrouver sur toutes les tables de chevet des militants, des geeks, des hacktivistes, des groupes d’humains qui s’organisent pour contester l’ordre des choses, des libristes convaincus, des élus, des géants de la tech, des développeurs, des collégiens, des managers bienveillants… Bon, vous l’aurez compris, on conseille à tout le monde de le glisser sous le sapin.

La Quadrature du Net, actrice historique en France de la lutte pour un Internet libre, restitue en presque 250 pages quinze années de combats et d’épisodes fondateurs pour le monde du web, à l’échelle française, européenne et mondiale. Attention ! Ceci n’est ni de la littérature, ni un livre de développement personnel. La rigueur juridique des propos rapportés rend le texte aride par endroits, mais l’approximation, ce n’est pas le genre de la maison, quitte à en perdre certains.

Au milieu des paragraphes techniques reprenant les lois contestées, rappelant qui les portaient et quels problèmes elles posaient, les quatre auteurs glissent des phrases qui agissent comme des électrochocs :

« La Poste n’a pas plus de légitimité à ouvrir notre courrier que Google à fouiller dans le contenu de nos messages. »

« La Publicité. Ce péché originel du web (…) »

Plus qu’une restitution de leurs années d’actions, c’est toute l’histoire sociale et politique de notre pays que nous font traverser les auteurs. On croise les manifestants du CPE, Nuit Debout, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes mais aussi les auteurs et suspects des attentats de 2015. Si on croise une foule si disparate en ces quelques pages, c’est parce qu’à la faveur d’une politique sécuritaire poussée à outrance, beaucoup se retrouveront sur le même méga fichier. On collecte des empreintes digitales à tout va, on sé-cu-ri-se. C’est le genre de choses qui posent des problèmes à la Quadrature pour qui l’événement déclencheur aura été HADOPI en 2007. Premier cheval de bataille qui prouvera la ténacité des membres fondateurs.

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Des révolutions connectées

On parle des évolutions de l’association, de sa montée en compétences juridiques, on parle du paysage politique de notre pays mais pas que. Le passage sur le printemps arabe montre l’importance des hacktivistes dans ce monde globalisé.

Aux abords de 2010, côté contexte, ça donne ça : Aaron Swartz, le génie suicidé à 26 ans, est érigé en martyr du web libre, les Anonymous se font connaître du grand public, MegaUpload se fait saisir par le FBI. Pour les hacktivistes, l’heure est grave. Et puisqu’on est au tournant des années 2010-2011, l’hacktivisme va jouer sa part dans le printemps arabe. Le livre revient sur un épisode clé dans lequel les hackers suédois de Telecomix découvrent, un soir d’ennui, que tout le réseau Internet des syriens est surveillé. Ces pirates qui, loin de piller les richesses des autres, veulent rendre leurs libertés aux citoyens, préviennent les internautes. La Quadrature raconte :

« le 15 septembre 2011, la quasi-totalité du trafic Internet syrien est redirigée vers une page Web redirigée en anglais et traduite en arabe. Son titre ? « Your Internet activity is monitored » (Votre activité Internet est surveillée). Sa signature ? « Nous sommes Telecomix. Nous venons en paix. » Et de découvrir au cours de leurs investigations conjointes à des journalistes, que moult entreprises dont plusieurs françaises, sont pourvoyeuses « d’armes numériques » de surveillance des populations, en Libye, en Egypte, en Birmanie… »

Le tournant RGPD

De copieuses pages sont consacrées au RGPD, incontournable. Autour de 2016, l’association jouit désormais d’une aura nationale archi crédible. Elle est consultée dès qu’on veut entendre une parole aussi libre qu’éclairée sur les droits et les libertés numériques.

La loi RGPD constitue l’un « des textes européens les plus marquants et des plus positifs de ces dernières années ». Cette fois-ci, les Gafam ne remportent pas la manche et ça fait du bien au moral.

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Le principe de consentement, quand il s’agit des données personnelles, est enfin reconnu comme crucial. Sauf qu’un autre texte déboule, ePrivacy, et videra tout le texte RGPD de sa substance s’il est voté. La QDN part en guerre au Parlement Européen. Quelques pages tout droit sorties d’un épisode de Parlement (série Francetv) où le héros, assistant parlementaire fraichement sorti de Sciences Po, tente de récolter des voix pour son amendement contre la pêche des ailerons de requins. À l’écran comme à la vie, ça a l’air galère.

En bons roquets des libertés individuelles (merci à eux), les auteurs expliquent avoir tenté de tordre la logique capitaliste et propriétaire pour faire valoir l’importance de la sanctuarisation de nos données personnelles. Personne ne devrait pouvoir se servir gratuitement dans nos informations personnelles, pour se faire de l’argent avec et sans nous rétribuer. Malins, les geeks. Mais ça ne suffira pas car en droit, tout est plus compliqué. Pour ceux qui se demanderaient pourquoi on ne nous permet pas de vendre nous-même nos propres données, voici l’explication :

« C’est ce qui fonde l’efficacité du RGPD : même si vous consentez au traitement de vos données personnelles par un site Web pour une finalité définie, vous gardez un certains nombre de droits sur ces données (accès, rectification, opposition, effacement, etc) ainsi que la possibilité de révoquer à tout moment votre consentement. En revanche si vous les aviez vendues, vous auriez perdu tous ces droits. »

Vous avez dit cyclique ?

L’évocation de la consultation citoyenne lancée par Axelle Lemaire, alors secrétaire d’État au numérique sous le mandat de François Hollande, pour « une République numérique » sonne familière. C’est drôle, nous voilà presque en 2023 et le gouvernement d’Élisabeth Borne nous propose de participer au Conseil National de la Refondation Numérique ! La Quadrature rappelle qu’Axelle Lemaire avait dénoncé auprès de Mediapart ceux qui voulaient, selon elle, mettre en place une « geekocratie ». Merci de nous rafraîchir la mémoire avant de recommencer.

Chronologique, rigoureux, factuel et partial, l’ouvrage, bien qu’exigeant, contient une mine d’informations pour qui veut écrire une thèse sur l’histoire des télécommunication des débuts d’Internet à aujourd’hui. Il sera un livre de souvenirs pour tous ceux qui ont suivi l’affaire de près ou de loin. Les lois et amendements contestés y sont notifiés, le parallèle avec nos voisins États-uniens est toujours fait et documenté. La démarche de la QDN est décrite de l’intérieur, un militantisme qui veut la lumière médiatique pour porter son discours sur la place publique. Quinze ans déjà que l’association existe, et il semblerait qu’on ait encore besoin d’elle pour un bon nombre d’années.

Internet et Libertés, 15 ans de combat de La Quadrature du Net de Mathieu Labonde, Lou Malhuret, Benoît Piédallu, Axel Simon, chez Vuibert

sur la photo de Une : Mathieu Labonde, Lou Malhuret et Benoît Piédallu ©Raphaël Piédallu

Nathalie Troquereau

Nathalie Troquereau

Journaliste, rédactrice de contenus pour Médias-Cité.