Kévin Dunglas, gérant d’une scop d’innovation numérique et sociale (Les-Tilleuls) est à l’initiative, avec une poignée de pairs, du texte onestla.tech. Un appel aux travailleuses et aux travailleurs du numérique de tout rang, à s’opposer à la réforme des retraites en signant le texte, et plus largement, à se fédérer autour d’une vision de la tech remise au service de l’humanité. La prise de parole personnelle pour exprimer le collectif étant chose délicate, Kévin nous précise qu’il répond à nos questions en son nom à lui.
Qui êtes-vous, un collectif, une organisation, une association… ?
Kévin Dunglas : Pour l’instant, on est surtout les signataires d’un appel. Tout a commencé le 1er jeudi de grève, où de nombreux acteurs du numérique français ont affiché sur les réseaux sociaux qu’ils la soutenaient, sans s’être coordonnés. S’en sont suivis des échanges animés, opposant différentes visions de la tech. C’est un milieu soi-disant peu politisé, voire acteur de la macronie avec la start-up nation etc. On a réalisé que beaucoup ne se reconnaissaient pas là-dedans. On s’est dit « quelque chose émerge ». J’ai écrit un premier brouillon du texte, que j’ai partagé ensuite à une dizaine de personnes (celles qui avaient participé à ces échanges sur les réseaux). Le texte a été modifié et écrit de manière participative, pour finalement donner cet appel onestla.tech, qui défend notre vision de la tech, c’est-à-dire que celle-ci doit servir à libérer du temps. Pour nous, elle doit être mise au service du bien commun. Nous voulions nous opposer publiquement à cette réforme des retraites et partager une vision de la tech rarement mise en lumière. En une semaine, nous avions dépassé le millier de signataires, dont quelques syndicats font partie comme la CGT, CNT, CNT, CNT-SO et Solidaires Informatique.
Quels sont les grands axes du texte et quel rapport avec la lutte contre la réforme des retraites ?
Kévin Dunglas : Le rapport, c’est que les technologies et l’automatisation peuvent permettre de dégager du temps libre pour lire, faire du sport, être en famille ou autres. Quoi que l’on fasse, la tech diminue progressivement le travail nécessaire aux humains. Mais les postes sont supprimés et les richesses non réparties. Elles sont accaparées par une toute petite minorité (1% de la population possède plus que les 99% restant) au lieu de bénéficier à tous. La troisième révolution industrielle qu’est la révolution numérique pourrait réduire le travail de l’homme mais ce progrès est confronté à des politiques qui disent qu’il faut travailler plus et plus longtemps.
Jusqu’où voulez-vous porter ce texte ?
Kévin Dunglas : L’objectif à court terme, c’est de lutter contre la réforme. À moyen terme, nous avons organisé des assemblées générales dans plusieurs villes et constitué des cortèges pour aller manifester aux côtés des autres. À terme, nous souhaitons créer un collectif, pour penser et bâtir cet autre projet de société.
On assiste à une convergence des luttes pour la justice sociale et pour l’urgence climatique, les deux consistant à moins produire, moins consommer, plus recycler et plus partager. Que dire de la pollution numérique, dont les acteurs du numérique sont co-responsables ?
Kévin Dunglas : Je ne pense pas que les travailleurs du numérique soient responsables de la pollution engendrée. On ne peut pas dire aux ouvriers de Ford qu’ils sont responsables de la pollution automobile. Il y a une initiative qui a précédé notre texte, qui s’appelle le Climanifeste, et qui invite les travailleuses et travailleurs du numérique à refuser de créer des logiciels et outils qui polluent. L’appel “onestla.tech” s’inscrit clairement dans la lignée du climanifeste. L’idée défendue et que nous rejoignons, est qu’il faut redonner du sens à la technologie pour servir nos besoins et déléguer les tâches pénibles comme dangereuses, plutôt que de développer des jeux ou des applis inutiles qui détruisent la planète. L’industrie du numérique pollue, on appelle les travailleurs à créer des outils adaptés aux enjeux climatiques.
Est-ce qu’on peut parler d’une tech de droite et d’une tech de gauche ? La Start-up nation d’un côté et OnEstLaTech de l’autre ?
Kévin Dunglas : C’est plus compliqué que la question de gauche ou de droite. Mais il est vrai que beaucoup de gens de gauche, ou de traditions idéologiques et politiques assez identifiables comme telles, ont signé l’appel. Cependant, je crois que le texte rassemble de manière plus large parce que l’envie de redonner du sens à la tech va au-delà de ces clivages. Je pense même qu’il y a un certain nombre de signataires qui sont des déçus de la macronie. Il faut penser ces enjeux de manière plus internationale. Depuis quelques temps déjà, des employés des GAFAM aux EU se révoltent contre les pratiques immorales et dangereuses de leurs employeurs. De nombreux salariés de Microsoft se sont levés contre le contrat passé par sa filiale GitHub avec l’ICE (l’agence de l’immigration étasunienne accusée de très nombreux abus contre les immigrés). Des employés de Google, Amazon, Facebook s’organisent également pour construire un rapport de force avec leurs employeurs et les empêcher de causer trop de tort. C’est un contexte global qui porte un nom : le Techlash (le retour de bâton), et onestla.tech s’inscrit à la fois dans la lutte contre la réforme des retraites et dans ce mouvement international.
Vous croyez aux civic tech ? Ont-elles une crédibilité politique ou un avenir selon vous ?
Kévin Dunglas : Elles n’ont pas d’avenir tant qu’on ne change pas de paradigme en amont. Il existe des outils numériques pour se coordonner, sur le principe de la démocratie directe. La technologie peut permettre de donner plus et plus souvent le pouvoir de décision aux citoyens. Par exemple, le logiciel libre Loomio permet de proposer des décisions, et ainsi de mettre en place une démocratie horizontale, de changer d’approche. Il n’y a aucun problème d’outillage, le blocage est institutionnel. Donc il faut se rencontrer entre nous, rencontrer les autres groupes dans la rue, et faire retirer cette réforme. Nous luttons pour tout le monde puisque nous ne sommes pas les plus exposés ; c’est un secteur où nous sommes généralement bien payés et où il y a beaucoup d’emploi.
Peut-on vous définir comme un groupe hybride d’activistes numérique ?
Kévin Dunglas : Oui ! J’imagine qu’on peut dire ça !
Propos recueillis par Nathalie Troquereau
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