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« Transparence » de Marc Dugain

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couverture transparence dugain

Le prolifique auteur Marc Dugain vient de publier chez Gallimard « Transparence », un roman d’anticipation aussi brillant que perturbant. Entre anticipation et prédiction, l’auteur nous propulse dans un futur sombre, bien que transparent.

Choisir le genre de l’anticipation permet à Dugain de condamner (dans les deux sens du terme) notre société, dont le réel déclin aurait débuté lors du premier mandat de Trump, soit aujourd’hui. L’auteur décrit une civilisation de pantins, régie par les géants du numériques qui contrôlent, façonnent et dictent lois comme vertus.  Dans ce monde proche de l’apocalypse, le revenu universel est assuré pour tout citoyen laissant un accès total à ses données personnelles. Pas si fou, quand on y pense… L’auteur invente une fable quasi grotesque, aux fondements archi-réalistes ; une fable que devront éviter les esprits paranoïaques.

L’histoire gravite autour du thème de l’immortalité, quête dans laquelle Google et consorts se sont déjà lancés et poursuivent comme le saint Graal. Notre condition de mortels constitue le dernier frein à la suprématie de l’espèce humaine. L’héroïne de « Transparence » parvient à une accumulation de données nécessaires, appliquée à une technologie capable de reconstituer à l’identique un individu, ses connexions neuronales, ses ressorts psychologiques, son apparence, tout. Elle peut rendre un être immortel.

Le romancier imagine alors ce qu’une telle révolution, l’aboutissement de la révolution numérique à laquelle nous assistons et participons, aurait comme conséquences sur tous les systèmes qui régentent la planète et ses habitants : politique, religion, lobbys, renseignement, guerre. L’occasion pour l’auteur de détruire chacun d’entre eux avec une précision catégorique et jouissive. La place Saint-Pierre se vide de ses fidèles, les présidents des grandes puissances mondiales viennent prêter allégeance devant la nouvelle prophète, maîtresse du monde. Elle propose une cyberdictature où partage des richesses et désarmement total seraient la norme. La promesse de l’immortalité incarnerait selon Dugain la seule carotte capable d’infléchir la nature toxique de l’homme en société. Si l’auteur a besoin de se projeter dans un futur somme toute très proche, 2060, c’est sûrement que le monde tel qu’il le conçoit aujourd’hui lui parait insoutenable.

« (…) désormais la démocratie avait franchi une étape. Le citoyen américain, comme le citoyen européen, s’exprimait sur tout, à partir de son terminal qui lui permettait de voter en permanence sur une grande variété de sujets, ce qui donnait l’illusion d’un pouvoir populaire, sachant que les moyens mis en œuvre pour manipuler cette opinion dépassaient considérablement ceux dédiés à l’éduquer, à la former. »

Un monde où l’art est mort, lui aussi. Il se voit remplacé par des fictions écrites sur-mesure, en fonction des goûts et horizons d’attentes de l’utilisateur, bien connus grâce aux données personnelles récoltées. Plus d’accident ni de choc esthétique, un art créé pour satisfaire. Là encore, vision paranoïaque de Netflix et d’Amazon, ou anticipation lucide ? Le réalisateur Bertrand Bonello et autres de ses confrères semblent du même avis (voir tribune publiée dans Le Monde du 19 mai dernier).

« Ces films, séries, étant tous élaborés à partir de données recueillies sur les goûts du public, relèvent d’une démarche scientifique et commerciale de connaissance des aspirations du spectateur très précise qui, une nouvelle fois, ne laisse aucune place à l’incertitude. On ne peut plus être déçu par un jeu vidéo, ni par une série. »

« Transparence » ne s’étend que sur 219 pages et pourtant, l’auteur parvient à traiter tous les grands thèmes avec une certaine exhaustivité. La shoah, 68’, le mythe de Noé, la surveillance, l’inaction climatique, Google, le soft power. Il opère une sorte de synthèse historique, greffée à un futur fictionnel, qui découlerait en toute cohérence de cette histoire coupable. Le plus absurde ne serait-il pas d’imaginer qu’une femme devienne un jour la personne la plus puissante au monde ? C’est une touche d’optimisme à noter dans l’œuvre, la seule peut-être.

Par ce roman, Dugain essaie de nous alerter : la révolution numérique constitue un changement de paradigme bien plus fondamental que ce que l’on croit. Dugain semble nous dire : attention ! si personne ne réagit, si personne ne s’empare de ces sujets avec le sérieux philosophique qu’ils requièrent, nous serons bientôt réduits à n’être plus que des émetteurs de données dans une enveloppe mortelle. Mais surtout, sa fable est une invitation à continuer de questionner le sens de l’existence, à continuer de critiquer, de questionner les modèles existants, et à chercher son épanouissement dans la quête de vérités.

Nathalie Troquereau

« Transparence », de Marc Dugain, chez Gallimard.

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Nathalie Troquereau

Journaliste, rédactrice de contenus pour Médias-Cité.