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5G : Ce qu’il faut savoir

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Guy Pujolle est professeur à la Sorbonne, spécialiste des télécommunications. Dans son dernier livre, il pose la question qui brûle les lèvres de tout le monde et enflamme les plateaux médias comme les repas de famille : Faut-il avoir peur de la 5G ? La réponse est oui, mais pas de ce que vous croyez. L’auteur estime que le sujet cristallise nos inquiétudes générales sur l’environnement ou la santé, sur lesquels la 5G ne représente pas de problème majeur. En somme, douter du bien fondé de son déploiement ou le craindre, c’est aussi remettre en question l’intérêt de la course au progrès, aux effets souvent délétères. Au-delà des fantasmes, fake news et extrapolations inquiètes, Guy Pujolle nous met plutôt en garde sur l’espionnage bien réel que va permettre la 5G, et le pouvoir qui sera conféré aux espions de dernière génération. Interview rattrapage.

Pourquoi le passage à la 5G déchaîne-t-il tant les passions alors que les 3 et 4G n’ont pas vraiment fait débat ?

G.P : Je pense que le débat ne porte pas vraiment sur la 5G. Le sujet focalise un ensemble de problèmes comme la consommation énergétique ou la santé. La santé, c’est un faux problème. Il y a eu des centaines d’études qui disent toutes que quand la puissance maximum est respectée (des lois qui existent à ce sujet), jamais aucun problème n’a été relevé. Il faut que le déploiement de la 5G continue de respecter scrupuleusement les conditions fixées il y a vingt ans.

Le déploiement qui a débuté se fait-il dans ces conditions selon vous ?

G.P : C’est difficile à dire mais a priori, je dirais que non. On va utiliser une fréquence plus élevée pour la 5G, (3,5 gigahertz environ) et comme elle est plus élevée, la propagation du signal va moins loin. La zone géographique arrosée par l’antenne 5G est plus petite. Donc il faut plus d’antennes qu’avant pour recouvrir les territoires alors peut-être que les opérateurs, pour en couvrir le plus possible, vont augmenter la puissance et là, il y aurait un certain risque. Il faudrait pouvoir vérifier que nulle part sur le territoire les limites ne sont dépassées. Sur le problème de la santé, on attend le rapport de l’ANSES (agence nationale de sécurité sanitaire) mais il ne va rien apporter de plus car pour avoir une idée du danger, il faut des études qui durent au moins dix ans. Le danger n’est pas immédiat et peut se ressentir longtemps après, donc l’ANSES ne peut que s’appuyer sur toutes les études qui ont déjà été menées et n’ont pas montré de danger. Elle n’a aucune raison de rendre un rapport négatif, si ce n’est de dire que peut-être que dans 30, 40, 50 ans, il y aura des effets dus à ces ondes.

N’aurait-il pas été intéressant de prendre des territoires-test au lieu de la déployer partout et d’engager une course au progrès comme c’est le cas actuellement ?

G.P : C’est une des grandes questions, mais la problématique c’est que la 5G est un support extrêmement important pour le futur dans les communications et pour l’économie. C’est toujours la même question, si tout le monde s’arrêtait pendant dix ans de faire du progrès, ça irait très bien. Mais vous avez des pays comme la Chine et les États-Unis qui ne voudront pas s’arrêter ! C’est un progrès technologique qui n’est absolument pas plus dangereux que la 4G. Ce sont des ondes situées entre les ondes sonores et les ondes lumineuses. C’est comme si on diffusait un son de faible intensité et une lumière de faible intensité. Il n’y de potentiel problème sanitaire que si on augmente la puissance des antennes, car il y en aura peu au début, ce qui pourrait tenter les opérateurs. Ça a posé souci un petit peu en Angleterre, un peu en Belgique, mais c’est surtout chez nous que ça coince. C’est un problème franco-français !

GSA/January report – Les pays où des opérateurs vont lancer de la FWA, de la 5G avec un usage d’Internet fixe

Beaucoup objectent que la 5G ne serviraient finalement qu’à une faible portion de gens, par exemple, la voiture autonome sera pour ceux qui ont déjà un chauffeur aujourd’hui. C’est aussi ce que vous avez observé ?

G.P : C’est vrai qu’au départ ça risque d’être les gens aisés qui en profiteront, comme d’habitude, et augmentera la fracture numérique. Mais normalement tout le monde devrait avoir une voiture autonome, ça ne coûtera pas plus cher qu’une voiture standard dans dix ans. Pendant 3 ou 4 ans, ceux qui auront des smartphones 5G (qui ne serviront à rien et ils ne verront pas vraiment la différence) seront des gens aisés, c’est sûr.

La 5G n’est pas une technologie pour le grand public, c’est surtout pour les entreprises. Ce qu’elle permettra surtout, c’est l’internet des objets, des applications connectées en temps réel pour piloter des voitures autonomes par exemple, faire de la chirurgie à distance, et avoir les haut débits en mobilité, c’est-à-dire qu’on aura le même débit dans un train à grande vitesse que chez soi. Ces trois grandes catégories ne seront disponibles que vers 2024, le temps de les déployer.

Vous parliez des entreprises, qui justement sont en train d’opérer leur transformation numérique et notamment en s’appliquant à plus de sobriété numérique. Est-ce que la 5G et la sobriété numérique sont incompatibles ?

G.P : Un des objectifs de la 5G c’est de numériser les sociétés qui le sont encore très peu aujourd’hui. Cette numérisation va demander plus d’énergie mais ce n’est pas forcément très simple à calculer. La 5G ne va pas multiplier par dix ou vingt la consommation d’énergie, loin de là, mais c’est vrai que ça peut l’augmenter. La numérisation des entreprises va nécessairement passer par la technologie des centres de données, eux-mêmes énergivores. La 4G elle, n’est pas très numérique. Tout est géré par du hardware, des machines, alors qu’avec la 5G, tout sera traité en numérique dans des datas center qui vont gérer plusieurs antennes à la fois. Le calcul est très complexe, certains disent qu’on va consommer moins, d’autres disent plus mais en réalité, c’est un calcul très complexe à réaliser. Ça va augmenter un peu mais pas tant que ça.

Certains arguent que le principal problème viendrait de l’empilement des technologies, en affirmant qu’on ne supprime jamais la technologie précédente. Vous préconisez la fin réelle de la 2 à la 4G pour une 5G non polluante ?

G.P : C’est exact, nous gardons bien souvent les technologies précédentes. La 2G, 3G et 4G vont continuer à exister. Je suis pour leur suppression car ça permettrait de récupérer des fréquences qui sont très intéressantes. Cela permettrait d’avoir des antennes qui dépensent moins d’énergie, puisqu’on aurait des fréquences plus basses, et donc moins d’antennes. On pourrait ainsi revenir au même nombres d’antennes que nous en avions pour la 4G ou même la 2G. Le problème, c’est qu’elles sont toujours utilisées. La 4G est même en train d’augmenter fortement.

Est-ce réalisable, cette suppression des générations précédentes ?

G.P : Ce n’est pas réalisable simplement mais il le faudra bien, sinon c’est une aberration ! On consomme de plus en plus parce qu’il y a toujours plus d’antennes de différentes générations. Il faut du temps et de l’argent pour transformer tout ce qui était sur de la 2G vers de la 5G. Ce sont des coûts importants et je crois que les opérateurs préfèrent laisser tel quel plutôt que de dépenser de l’argent supplémentaire.

Cette initiative est entièrement à la charge des opérateurs ?

G.P : Oui, sauf si le gouvernement leur dit de supprimer tout ce qui est 2G, mais je ne pense pas qu’il le fera parce qu’il y a encore de nombreuses applications sur la 2G. Beaucoup de compteurs électriques comme les LINKY, par exemple, sont connectés sur de la 2G. Il y a une technologie dans la 5G, la « narrow band », qui serait beaucoup plus utile et économique mais cela demanderait de nouveaux efforts financiers… C’est souvent des problèmes d’argent. Si on en avait plus, on pourrait faire des choses pour consommer moins. Mais c’est aussi une question d’efforts et ça, on n’en fait pas beaucoup !

Cartographie interactive des réseaux mobiles de l’Agence Nationale des Fréquences

On a pu entendre aussi que la 5G pourrait résorber la fracture numérique. Vous êtes d’accord avec cette idée ?

G.P : Au contraire, ça va l’augmenter. Les antennes 5G dans les zones rurales ne seront pas plus rentables que des antennes 4G ou 3G, elles le seront même moins puisqu’il en faudra plus. Plus d’antennes en zone rurale, ce qui veut dire moins de personnes connectées par antennes donc un coût supérieur… Les zones blanches vont le rester. Il existe une autre solution qui pourrait réduire la fracture numérique, ce sont les satellites 5G. Il y a des constellations en prévision comme Starlink, à partir de 2024-2025, et les satellites passent aussi bien au dessus des villes que des zones rurales. Ça pourrait désenclaver mais je ne trouve pas qu’elles constituent une bonne idée. C’est très cher, très polluant, ça peut rapporter beaucoup d’argent (c’est pourquoi les milliardaires se lancent là-dedans), mais l’environnement satellitaire n’est pas écologique du tout.

Vous évoquez 2030 dans votre ouvrage, date à laquelle nous manquerions de ressources si on continue comme ça ?

G.P : Ce n’est pas que la 5G mais l’augmentation globale des centres de données qui poseront un problème au niveau énergétique mondial. Ils consomment beaucoup, ça vient du fait qu’on traite tout en logiciel, ce qui consomme plus qu’une machine qui fait des calculs. C’est plus souple parce qu’on peut facilement le remplacer par un autre contrairement aux machines. On travaille dessus dans la recherche, beaucoup de travaux sont menés sur comment minimiser la consommation énergétique en utilisant la 5G. Du point de vue de l’économie, la 5G est positive. Le vrai problème que je vois, c’est que nos données vont transiter par ce réseau 5G et ça va permettre un espionnage de données nettement plus important que celui qui est mené actuellement.

Aujourd’hui, on est espionné par les GAFAM. La 5G va introduire des datas center derrière chaque antenne, et toutes nos informations, sans exception, vont passer par là. Donc avant même d’aller chez Google ou Amazon, ça veut dire que tout pourra être contrôlé plus facilement par ce biais-là. C’est pour ça que les américains ne veulent plus de Huawei ! Ce n’est pas les antennes le problèmes, ce sont les datas center à qui les antennes envoient les signaux. Celui qui exploite le data center voit passer les données de tout le monde. Huawei est très en avance sur le volet data center 5G, ça voudrait dire que tout l’espionnage mondial sera récupéré par la Chine alors qu’aujourd’hui, il est à 90 % américain. C’est la même chose, mais on considère les uns comme des amis et les autres comme des ennemis. Bien sûr qu’on pourrait essayer de développer des logiciels avec d’autres systèmes de chiffrement mais c’est toujours une question d’argent. Et je ne crois pas que l’État veuille cela. Au contraire, il va demander aux opérateurs de tout espionner. Ils vont les laisser faire pour pouvoir leur demander des écoutes quand il faut.

Image d’un data center de Google d’extérieur, source : https://www.webrankinfo.com/dossiers/google/photos-data-centers-google

15 pays européens ont signé une lettre exigeant une campagne contre la désinformation liée à la 5G qui, selon eux, se propage vite et compromet son déploiement. C’est vrai ?

G.P : Sur la 5G on a dit tout et n’importe quoi, aussi bien dans un sens que dans l’autre. En revanche, la 5G constitue un moyen de propagation mondiale qui va transformer le monde en village. Il va y avoir des propagations d’information qui s’effectueront facilement et simultanément et seront de plus en plus incontrôlables. Les fake news sont un problème extrêmement grave qu’on ne sait pas résoudre.

Vous évoquez dans votre livre le danger du tout centralisé : un élément faillit et c’est tout le système qui chute. Est-ce possible de faire autrement tout en utilisant la 5G ?

G.P : Oui, bien sûr. Il faudrait que ces centres de données soient relativement petits, qu’ils soient de plus en plus tournés vers le client et que ce soit lui qui puisse les contrôler. Plus c’est distribué, plus c’est difficile de contrer l’ensemble. Quand on regarde la vision de Huawei pour la future 6G, ils voient un gros data center mondial…qui gère tout.

La 6G, c’est pour quand et à quoi doit-on s’attendre ?

G.P : Elle sortira en 2030. Il y a déjà beaucoup d’études et de laboratoires dédiés à la 6G, en particulier des chinois, des coréens et des japonais, qui font déjà des propositions. Une des grandes questions c’est l’automatisation de tout ça : diminuer les personnels techniques, les ingénieurs qui sont dans des salles de contrôle ou salles de gestion. Tout doit devenir automatique grâce à l’intelligence artificielle. On aura certainement de nouvelles applications holographiques qui demandent des débits plus importants. Le débat, c’est est-ce qu’on centralise toutes les commandes ou est-ce qu’on trouve un moyen de décentraliser et de revenir au même système des débuts d’Internet ?

Internet est né d’un environnement totalement décentralisé et c’est ce qui en fait son succès. Le danger, c’est qu’on centralise de plus en plus et qu’on donne du pouvoir à ceux qui gèrent les centres de données. Huawei est pour le tout centralisé, Google est pour l’inverse. Il veut être au plus près pour faire des publicités encore mieux ciblées, s’installer dans les box, dans les smartphones, dans votre bureau. Orange est en train de signer de gros contrats avec Google pour qu’il gère leur datas center 5G en France, parce qu’ils n’ont pas le personnel qu’il faut. Ça ne va pas changer, Google va continuer de vous espionner, mais de façon encore plus précise.

Propos recueillis par Nathalie Troquereau

Pour aller plus loin :

https://theconversation.com/la-5g-quest-ce-que-cest-comment-ca-marche-146864

Nathalie Troquereau

Nathalie Troquereau

Journaliste, rédactrice de contenus pour Médias-Cité.

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