Pendant que certains s’arrachent la dernière console de jeu, d’autres préfèrent s’en fabriquer une eux-mêmes, quitte à passer pour des geeks, des marginaux, ou des fous du bidouillage. Audric Gueidan, médiateur numérique – bibliothécaire le jour / bidouilleur – expert la nuit, publie un livre-tutoriel dédié à tous ceux qui se reconnaissent dans la deuxième catégorie. « Construisez et programmez votre console de jeux open source » est sorti chez Dunod cet automne et pourrait bien devenir un must-have du prochain confinement…
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Pourquoi avoir écrit ce livre ?
A.G : J’évolue dans ce milieu depuis très longtemps. Je suis collectionneur et joueur assidu depuis toujours, j’ai monté un fond de jeux vidéos dans une bibliothèque, travaillé dans un fab lab… Bref, j’ai réalisé qu’il n’existait pas d’écrits sur la fabrication de consoles open source. Pourtant, j’étais convaincu qu’il existait plein de passerelles entre le monde des makers et le monde des gamers. Même s’il s’agit d’un sujet de niche, je voulais essayer de parler au plus large public possible. Je voulais raconter l’histoire de ces jeux vidéos, puis, au gré du travail avec l’éditeur Dunod, nous sommes arrivés à cette version plus complète, où tu trouves des tutos et de l’histoire. Mais ce n’est pas une version définitive, depuis la publication ça a déjà changé ! J’ai écrit tout un chapitre intitulé « Gamebuino : un succès français » mais ils ont fait faillite depuis… Ça illustre bien toute la difficulté du Libre, comment arriver à se financer et à trouver une sorte de pérennité avec un modèle gratuit.
Entre nous, ça vaut la PS5 vos consoles fabriquées à la maison ?
A.G : Ah non ! Loin, loin de là ! C’est plutôt un équivalent des consoles des années 90. Ce n’est pas le but recherché de toutes façons. Il faut bien sûr être un peu équipé (si on n’a pas de fer à souder chez soi, on sera mal parti) mais on peut tout à fait fabriquer les consoles en fab lab, qui fournit tout le matériel et qui permet de rencontrer une communauté active.
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Vous mettez en lumière dans votre livre le problème des ressources et de leur épuisement, c’est-à-dire le besoin de métaux rares pour construire des consoles et des jeux. La low-tech est-elle l’avenir du jeu vidéo ?
A.G : Je ne sais pas si c’est l’avenir mais en tout cas, ce n’est pas la direction que prennent les grands éditeurs actuels de jeux vidéos. C’est toujours à qui sortira la plus grosse, la plus puissante, avec le plus de pixels, etc . La low-tech serait pourtant une solution pour nous permettre de durer plus dans le temps, car on sait que nous allons manquer des certains métaux essentiels. Mais deux visions s’opposent. La vision techno-solutionniste qui assure qu’on trouvera toujours quelque chose pour remplacer ce qu’on a épuisé, et la vision écologique qui dit qu’il faudrait revenir à ce que l’on faisait avant. Laquelle incarne vraiment le progrès ? Tout dépend du point de vue.
Délivrez-vous un message politique derrière tous ces tutos ?
A.G : On sait aujourd’hui qu’un numérique moins énergivore existe. Le numérique est politique. C’est un outil certes, mais la manière dont on s’en sert est significative. Oui, en quelques sortes, inviter au logiciel libre et à la low-tech est une invitation à sortir du modèle capitaliste.
Le service « pixels » du journal Le Monde a récemment publié une sélection des 100 jeux préférés des journalistes. Le jeu vidéo est considéré comme le 10 ème art, va-t-il un jour entrer dans les pages cultures au même titre que la bande dessinée ou la musique ? Pourquoi est-il traité dans les pages « numérique » ?
A.G : Le jeu vidéo est encore récent, il a une cinquantaine d’années seulement. Avant, on critiquait le cinéma. Après ça a été le rock, puis les mangas, puis les films d’animation… Les mentalités changent un peu mais ça prend du temps. Pourtant, sur le plan économique, le jeu vidéo s’impose. C’est le premier objet culturel acheté en France. Pour moi, c’est un art à part entière. Des scénaristes, des comédiens, des designers, des architectes et plein d’autres encore travaillent sur les jeux vidéos. Pac-Man est même entré au musée du Moma (Musée d’Art Moderne de New-York, NDLR), c’est dire. Ce qui est dommage, c’est de tous les mettre dans le même sac. Il existe une très grande diversité de jeux, bien différents des gros blockbusters que l’on voit toujours dans les publicités. Fortnite, ça va un moment !
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Propos recueillis par Nathalie Troquereau