En rendant accessible à tous le chatbot ChatGPT, une intelligence artificielle conversationnelle particulièrement sophistiquée, la firme OpenIA a déchainé les passions. Dall-E, une IA qui génère des visuels sur commande écrite, avait déjà échaudé les esprits quelques mois avant. Le sujet n’est pas neuf mais il progresse, tant techniquement que dans le dialogue collectif ambiant. Un thème qui fait l’objet des scénaris les plus paranoïaques comme les plus naïvement technophiles. Dans le corps éducatif, les questions se bousculent.
Avec ChatGPT, c’est le syndrome Wikipédia qui recommence : Au secours ! les enfants n’ouvriront plus jamais de livres ! Au secours, les enfants ne vont plus jamais écrire ! Bien. Une fois la vague de panique passée, les émotions médiatiques retombées, que reste-t-il vraiment de ce débat ? En quoi ChatGPT va-t-il chambouler l’enseignement ?
Pistes de réponses avec des chercheur.se.s de la Scientothèque qui mènent des actions pédagogiques sur les nouvelles technologies dans les écoles de quartiers prioritaires et avec Simon Duguay, professeur d’éducation aux médias, auteur d’un document collaboratif tentaculaire sur la question de l’IA en éducation. Quels dangers mais aussi, quels bienfaits ce nouvel outil d’intelligence conversationnel peut-il apporter au monde de l’enseignement, côté élève comme professeur.e.s ? C’est ce qu’essaie d’entrevoir Simon Duguay à travers ce padlet, probablement créé à l’image de son cerveau.
https://padlet.com/simonduguay/IA_edu
Un mode d’évaluation obsolète
« Je dirais que c’est un très bon outil pour combattre le syndrome de la page blanche. Je n’ai qu’à poser une question et il va proposer plusieurs éléments, je fais un tri, je ne garde pas tout, mais ça me permet de partir de quelque chose. Ce n’est pas une révolution, mais ça va nous aider à accomplir certaines tâches administratives pour passer plus de temps avec nos élèves. »
En optimiste éclairé, il voit l’irruption de cette technologie dans les salles de classe comme une opportunité.
« Cela va nous permettre d’aller plus loin avec les élèves, notamment sur les questions de droits d’auteur, de plagiat, puis d’avoir des débats sur l’aspect éthique et citoyen de l’IA, s’enthousiasme le jeune professeur. Ça va apporter une belle réflexion sur l’évaluation des élèves, déjà entamée lors de la pandémie avec l’enseignement à distance » soulève-t-il.
« Les enseignants vont être obligés de demander à leurs élèves de prouver qu’ils comprennent ce qu’ils font. Ces outils vont changer profondément l’enseignement et les méthodes d’évaluation appliquées aujourd’hui. Il va falloir leur apprendre à utiliser et à manier cette masse d’informations. » affirme la coordinatrice de la Scientothèque.
« Oui, car ChatGPT n’a pas vocation à donner des réponses fiables, ajoute son collègue chercheur. Il faut donc bien connaître les limites de cette aide apportée par le chatbot. »
Pas de la magie
« Les élèves l’utilisent déjà et je ne vois pas le génie repartir dans sa lampe… » image très justement l’enseignant québécois. D’une, le génie GPT est sorti, mais en plus, il avance à toute vitesse. Tout va très vite concernant le sujet, des dizaines de publications réflexives ou pragmatiques fleurissent chaque jour, et les actus fusent à une vitesse record. On apprenait le 10 janvier 2023 que Microsoft comptait investir 10 milliards dans la firme OpenIA qui possède ChatGPT et Dall-E, espérant au passage faire la nique à Google, son meilleur ennemi.
On apprenait aussi que pour faire face à l’inquiétude croissante du corps enseignant sur les possibilités de triche offertes par l’outil, difficilement détectable, OpenIA envisagerait de mettre un filigrane sur les réponses de ChatGPT (à la manière de Shutterstock sur ses photos).
On peut lui demander de résoudre n’importe quelle équation, de rédiger un texte à la manière de Zola, de composer une dissertation en philosophie, il le fera. Gageons donc que les étudiants ne se laisseront pas décourager par un simple filigrane et déploieront des prodiges de malice pour continuer d’utiliser l’outil d’aide aux devoirs le plus performant jamais inventé. D’où la nécessité de former ces jeunes esprits aux subtilités et rouages techniques des machines qu’ils vont utiliser tous les jours.
Sciences et conscience
« Leur apprendre à programmer pour ne pas être programmés » philosophe Patricia Corieri, directrice de la Scientothèque. Un aphorisme à l’image de cette structure, qui œuvre dans les écoles bruxelloises précaires. « L’IA a le potentiel d’offrir un enseignement plus personnalisé. Mais il existe deux problèmes majeurs qui entravent l’accès à tous de cet outil : l’équipement des classes et la formation des enseignants. C’est très inégal selon les écoles » déplore-t-elle. « Nous travaillons avec des élèves qui sont parfois en grande difficulté scolaire, avec les sciences et les mathématiques, mais qui s’en sortent très bien dans nos activités de programmation ou autres. Ça permet de remotiver ceux qui sont en décrochage » assure-t-elle. « Ça peut aussi susciter des vocations, notamment chez les filles, et permettre à terme de réduire les biais de genre » espère son collègue chercheur Yann-Aël Le Borgne.
Enseigner et utiliser l’IA à l’école paraitra certainement banal dans dix ans, mais les prémices commencent aujourd’hui. Si tout le monde participe au débat et s’empare intelligemment de l’outil, de réels avantages pourraient en être retirés. Gagner du temps pour préparer ses exercices, apprendre aux élèves à formuler une requête précise, découvrir le fonctionnement d’un algorithme, apprivoiser ensemble –profs et élèves- la technologie qui va modifier nos usages quotidiens. Et l’apprivoiser dès le plus jeune âge, c’est la démystifier. Si, comme l’écrivait l’auteur de science-fiction Arthur C. Clarke « toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie », il semble nécessaire de se familiariser avec sa logique scientifique dès à présent.
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Nathalie Troquereau