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Les écrans dans la vie de famille, une nouvelle présence à apprivoiser

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Plus on avance dans le temps, plus les recommandations sont strictes. Le CSA s’égosille, « pas d’écrans avant trois ans », les scientifiques alertent, les ministres relaient, mais le défi reste de taille : intégrer intelligemment les écrans dans la sphère familiale est une tâche ardue, qui incombe aux parents, bien souvent désarmés.  

La question peut rapidement devenir anxiogène. De nombreuses études prouvent désormais que l’exposition prématurée aux écrans cause un retard cognitif, des troubles de concentrations ou encore une prise de poids anormale. Drôle de société où l’on vous pousse à acquérir de nouveaux outils technologiques sans arrêt, en vous expliquant qu’ils sont magiques pour vous et toxiques pour vos enfants. En se renseignant un peu, on apprend même que les enfants de Steve Jobs, du co-fondateur de Twitter et autres visionnaires du numérique, n’ont pas d’Ipad mais des livres. En papier. Et une utilisation très limitée des écrans en général. Sauf que, trop tard, les tablettes font partie de notre quotidien, les cours des enfants sont le Net, et les parents regardent Netflix après leur journée de boulot… Loin d’être une fatalité, les écrans et tout ce qu’ils comportent peuvent aussi devenir un jeu, permettre de recréer du lien, et offrir une présence instructive au sein du cercle familial. Le secret ? Dialogue et partage. C’est ce que défend Laure Deschamps, fondatrice et directrice de La Souris Grise, spécialiste en médiation numérique familiale. Entretien.

Selon les chiffres de l’UNAF, les enfants de 1 à 6 ans passent en moyenne 4h37 par semaine sur Internet. Est-ce un temps incompressible avec lequel on doit composer, ou devons-nous veiller à le réduire absolument ?

L.D : Ce n’est pas une question de réduction ou non. Ce nombre d’heure peut comprendre tout et n’importe quoi, la question est que regardent-ils, et s’ils le font seuls ou accompagnés. Le point de départ, c’est l’enfant. En 2019, ils naissent entourés d’écrans, c’est un fait. Ce qui compte, c’est la manière dont tout le monde – les parents, la société, l’école – va proposer des usages à ces enfants. Il s’agit de faire les bons choix en fonction de l’enfant et de son âge.

Les messages délivrés dans les médias sont très négatifs. Or, nul besoin d’être médecin pour savoir que d’exposer un enfant de moins de trois ans plus de quatre heure par jour à des écrans, provoquera des retards parce qu’il a besoin de marcher, de se développer et d’être avec l’autre.

Qu’est-ce qui pousse le plus souvent ces parents à se déplacer à vos ateliers / conférences ?

L.D : Le point commun, c’est que les parents sont perdus. J’en rencontre beaucoup dans le cadre de Tabletus, dans des centres sociaux ou autres lieux et je vous assure que socialement favorisés ou pas, en ville ou à la campagne, ce sont les mêmes interrogations : comment je fais et que dois-je faire ? Il y a des écrans à l’école mais il faut les interdire à la maison… Ils sont paumés. De plus, ils entendent des messages médiatiques contradictoires en permanence, ce qui n’aide pas !

La parentalité numérique est votre cœur de métier, que préconisez-vous ?

L.D : Partager – alterner – choisir – temporaliser – éduquer : ce sont les cinq points à travailler à la maison au quotidien, et à adapter à l’âge de l’enfant. L’idée, c’est de prendre des bonnes habitudes de vie, comme avec les cinq fruits ou légumes par jour.

 « Il est beaucoup plus facile d’interdire que d’éduquer »


De nombreux parents pensent qu’ils ne peuvent pas gérer à cause d’un discours qu’on leur sert beaucoup, qui dit vous n’êtes pas capables d’accompagner votre enfant parce que vous n’êtes pas un digital native. Mais l’important, c’est d’être avant tout un parent, et non un spécialiste des supports en question. C’est la base. Ensuite, veiller à partager les écrans et éviter les écrans personnels le plus longtemps possible. Choisir les contenus, regarder au moins une première fois avec son enfant (série, dessin animé, chaîne YouTube) pour voir de quoi il s’agit avant d’accepter. Tout cela demande du temps et du travail. Il est beaucoup plus facile d’interdire que d’éduquer.

Pensez-vous que ces écrans multiples peuvent être vecteurs de lien ?

L.D : Tout dépend de ce qu’on utilise, de comment on le fait, avec qui… Les adultes ont besoin de rester dans leur rôle et de comprendre que leurs outils ne sont pas ceux des enfants. On voit des parents équiper des enfants de smartphones dès le CP, pour quoi faire ?! Il y a une fascination des nouvelles technologies de la part des adultes, mais cette fascination brouille parfois les repères parentaux. Il faut du bon sens. Éduquer les parents, leur donner des informations. Ils ont besoin de connaître les outils, et de faire l’effort d’aller voir ce que c’est, c’est-à-dire de vérifier les contenus avant d’accepter que les enfants les regardent. Prendre du temps avec son enfant plutôt que de dire je ne sais pas de quoi il s’agit. La grande contradiction aujourd’hui, c’est que plein de parents vont refuser que leur enfant sorte seul dans la rue, alors qu’il le laisse jouer à un jeu vidéo en ligne avec des inconnus.

Pour les ados qui ont déjà des écrans personnels, comment faire pour vérifier, aller vers eux, sans être intrusif ?

L.D : À l’adolescence, le dialogue est la base de tout. Les parents ne se rendent pas compte mais beaucoup d’ados aimeraient bien que leurs parents s’intéressent plus à eux. Qu’ils leurs demandent ce qu’ils regardent sur YouTube, et qu’ils regardent avec eux sans critiquer forcément. Les ados sont bien plus ouverts que les parents ne l’imaginent.

Il n’existe pas de recette toute faite, c’est le propre de la parentalité. Ce dont les parents ont besoin, c’est d’information. Quand je demande aux parents qui ont des enfants de tout âge, bébé ou ados, quels sont les contenus numériques préférés de leurs enfants, la moitié de la salle répond YouTube. Mais quoi sur YouTube ? Rares sont ceux qui peuvent aller plus loin, dire qui sont derrière les chaînes ou même leurs noms. La vraie problématique, totalement absente du débat, c’est celle du contenu. On a tout axé sur le temps et sa gestion, au détriment du contenu.

Propos recueillis par Nathalie Troquereau

Nathalie Troquereau

Nathalie Troquereau

Journaliste, rédactrice de contenus pour Médias-Cité.