Education - Médiation

Aude Favre, vraie pro des fake news

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Le Covid ? Un complot chinois. La 5G ? Un coup de Bill Gates pour tous nous pucer. Quant à la Terre, ne vous méprenez pas, elle est plate. Les fake news comme celles-ci ont envahi la sphère informationnelle qu’est Internet, devenant un danger manifeste pour nos démocraties. Pour les combattre, une seule solution selon Aude Favre, journaliste spécialisée dans la lutte contre la désinformation : une sérieuse éducation aux médias, pour tous.

Vous la connaissez peut-être sous le pseudonyme Aude WTFake, qu’elle revêt sur sa chaîne YouTube dédiée au débunkage de fake news. Cette chaîne, qui séduira FRance TV Slash, Aude Favre la monte en 2017, « suite à l’élection de Donald Trump » nous confie la reporter. On comprend aisément l’angle de bascule ; l’arrivée de Trump au pouvoir signe bien la victoire de la désinformation sur les médias traditionnels. Entre-temps, Aude co-fonde l’association d’éducation aux médias Fake Off. « Nous sommes submergés de demandes » s’alarme-t-elle. On imagine, puisqu’on lui a nous-même demandé ses lumières sur ces obscurs contenus qui pullulent sur le web.

En journalisme, on utilise les 5W pour délivrer une information : What, Who, When, Where, Why. Existe-t-il une telle recette pour débusquer une fausse information, quel que soit son médium ?

A.F : Non, hélas il n’y pas de recette miracle ni de fake news type. C’est souvent tordu, maquillé, donc plus complexe. Mais il manque beaucoup de W dans les articles de désinformation ! J’ai quand même quelques conseils pour évaluer la fiabilité d’un contenu.

1 – Quand l’article est à charge, toujours regarder s’il y a un droit de réponse, c’est-à-dire une phrase du genre « contactée par la rédaction, la Préfecture de Police n’a pas souhaité donner suite ». Dans un article journalistique, c’est obligatoire. C’est comme les enquêtes qu’on voit à la télé. Il y a de la confrontation. Si quelqu’un vient au commissariat en disant « je me fais taper par mon mari », c’est un témoignage pas encore recoupé ni vérifié . C’est le début de l’enquête. On va tout d’abord appeler le mari. Là, c’est la même chose.

Lire aussi : C’est quoi, une fake news ?

2 – Il y a des sources ? Parce que rien n’est gratuit, une information ne peut pas venir comme ça de ton cerveau. Mais, distinguo important, ce n’est pas parce qu’il y a des sources que c’est valide. Il faut aussi se demander ce qu’elles valent. Un témoignage vaudra moins qu’un document officiel.

captures d’écran du site de l’association Fake Off – https://www.fakeoff.fr/

Ce sont des réflexes que possèdent des personnes aguerries au décryptage d’information. Doit-on tous devenir journalistes pour sillonner le web sans se faire duper ?

A.F : Non, surtout pas ! C’est l’enfer si tout le monde doit sortir sa loupe en allant sur Internet pour vérifier les sources. Je suis convaincue que le problème de la désinformation est dû uniquement au manque de confiance des gens dans les professionnels qui les informent. C’est pour ça que j’essaie de dialoguer un maximum avec les gens, j’ai réalisé qu’il existait peu de dialogue serein. Je conseille toujours aux gens et/ou structures qui veulent me faire venir pour en parler de se rapprocher des journalistes locaux.

On parle souvent de légitimité de l’auteur, mais comment en juger ?

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A.F : On peut commencer par regarder si cette personne est reconnue par ses pairs. Ceux qui sont les plus cités sont les plus reconnus. Dans le conspirationnisme, celui qui dit le contraire de tout le monde est valorisé, c’est très étonnant. Comme un lanceur d’alerte qui va à contre-courant, qui n’a pas peur. Si vous allez chez votre garagiste et qu’il vous dit que la roue, il faut la faire carrée, vous allez vous dire que c’est n’importe quoi ! Sauf que lorsqu’on touche à des domaines qu’on ne maîtrise pas trop, c’est plus facile.

On dit souvent que les fake news rapportent de l’argent. Pouvez-vous nous expliquer comment concrètement on peut s’enrichir en racontant n’importe quoi ?

A.F : On parle de 2 milliards d’euros par an minimum rien qu’avec l’argent de la publicité (chiffres société NewsGuard). C’est l’argent des marques qui investissent massivement dans la publicité digitale, notamment la publicité programmatique. Son fonctionnement reste opaque parce que les marques ne savent pas où leur argent atterrit (elles ont les moyens de le savoir mais s’en désintéressent). Les marques nous suivent à la trace sur Internet. Ce sont les personnes qui sont paramétrées, on ne passe plus par une régie publicitaire comme Le Figaro ou autres. Une marque qui fait des ballerines pour danseuses peut cibler les danseuses de Clermont-Ferrand qui ont entre 11 et 16 ans par exemple. Si ces jeunes filles fréquentent des sites haineux ou de désinformation, les marques vont se retrouver sur ces sites. C’est comme ça qu’ils s’enrichissent.

Complément d’Enquête, « Fake News, machine à fric » diffusé sur France 2 le 02/09/21, pour lequel Aude Favre a enquêté avec d’autres journalistes.

Vous étiez membre du groupe de travail de la Commission Bronner, chargée notamment de faire des propositions sur la lutte contre la désinformation et dont le rapport a été rendu en janvier 2022. Qu’en est-il sorti ?

A.F : J’ai travaillé sur le business de la désinformation. Beaucoup d’entreprises sont engagées dans une démarche RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) et possèdent un service consacré. Dans l’enquête que j’ai co-réalisée, on a appris que toutes les marques qui finançaient de nombreux sites de désinformation étaient très engagées dans la démarche RSE. Une des propositions serait de les obliger à réaliser et rendre publiques des audits de leurs campagnes publicitaires qui diraient : cette année, 3 % des encarts publicitaires de telle marque sont arrivés sur des sites de désinformation. Mais globalement, c’est toute l’éducation aux médias qu’il faut mettre en top priorité. En faire une grande cause nationale.

Lire le rapport de la commission Bronner

Pour finir, parlez-nous de votre chaîne YouTube Aude WTFake et de la rédaction citoyenne que vous avez montées ?

A.F : Deux éléments ont déclenché ce projet de chaîne. L’élection de Donald Trump et la lecture d’un ouvrage du sociologue Gérald Bronner La Démocratie des crédules. Pendant le confinement, j’ai vu une demande énorme avec la Covid et toutes les informations qu’on pouvait lire partout, donc j’ai commencé à faire des lives avec des gens où on passait en revue des contenus douteux. Puis, les gens se sont pris au jeu et ont commencé à constituer une énorme rédaction citoyenne. On est plus de 1500 sur la plateforme Discord. On produit des enquêtes tous ensemble. Là, je travaille avec un jardinier, un ingénieur en informatique, une assistante maternelle… C’est génial. Je pense que ça fait partie des démarches qui peuvent réconcilier les gens avec le journalisme.

C’est un projet qu’on devrait sortir avec Arte dans les mois qui viennent.

Propos recueillis par Nathalie Troquereau

Nathalie Troquereau

Nathalie Troquereau

Journaliste, rédactrice de contenus pour Médias-Cité.