Alors que le gouvernement vient d’annoncer la mise en place d’un congés indemnisé pour les aidants, c’est à dire ceux qui aident au quotidien leurs proches en situation de handicap et autres types de dépendances, l’action de l’État reste faible par rapport à l’ampleur de la tâche. La France compterait dix millions d’aidants dans son giron ; Juliette est l’une d’entre eux. Pour rompre l’isolement et l’opacité des démarches, elle crée eNorme, un réseau social dédié.
Juliette était responsable communication dans une agence. Maman d’un petit garçon, elle lui donne un frère, Émile. Pour ses un an et sur les conseils du neurologue, elle s’arrête de travailler, comprenant que son fils accumule un retard anormal. Elle décide de l’accompagner à chaque minute de son apprentissage, pour le favoriser.
« Ça a été l’erreur de ma vie, mais à l’époque je ne savais pas qu’il existait des aides, des allocations journalières qui permettent de garder son travail tout en s’absentant pour les rendez-vous concernant son enfant handicapé. Aucune assistante sociale ne me l’a indiqué. Et une fois que les gens vous savent disponible, ils vous donnent moins de temps de crèche, moins d’auxiliaire de vie scolaire et donc moins de temps d’école…et vous n’avez plus le temps de travailler » regrette Juliette. Elle dit avoir « multiplié les erreurs » et prend conscience que s’occuper d’un enfant handicapé relève du parcours du combattant pour les démarches, l’accès aux droits, la recherche de diagnostic, les soins médicaux élémentaires, le transport, l’école, les loisirs. Se sentant isolée et mal renseignée, Juliette décide de monter le réseau eNorme, pour toutes les familles qui traversent la même chose ou qui s’y apprêtent.
eNorme reprend les codes et fonctionnalités des réseaux sociaux et veut créer du lien autant que de la ressource, diffuser les informations pragmatiques qui lui ont si cruellement manquées. Grâce à une campagne de financement participatif, elle paye le développement du site.
eNorme permet la mise en relation entre inscrits qui peuvent échanger par mails ou se rencontrer. On demande à se connecter à des profils comme sur LinkedIn. Le site cartographie les inscrits (sur la France métropolitaine) et repose sur un système de recherche par filtres bien pensé :
« On peut avoir des aides différentes en fonction de la zone où on vit, d’où l’importance du filtre géographique. On a mis des filtres par type de maladie pour échanger entre parents sur les pathologies, puisque les médecins ne nous proposent pas de nous rencontrer, or ça peut servir pour les maladies rares, les sans diagnostiques etc. On peut aussi filtrer par structures d’accueil, par méthodes de soin car on peut vouloir se rapprocher d’une famille qui a essayé telle méthode et se renseigner ainsi. Enfin, il y a un filtre par hobbies, parce que si jamais on a du temps libre, c’est sympa d’aller faire une partie de tennis avec quelqu’un… » sourit Juliette.
Numérique positif
L’indignation et le désespoir qui sous-tendent son récit ne sont pas visibles sur la plateforme. eNorme se présente comme un réseau social positif. Il tisse des liens, tire les portraits de porteurs d’initiatives solidaires, recense les contenus utiles : pas de place aux coups de gueules, on est là pour avancer. Par exemple, Juliette relaie l’initiative moncopilote.fr, qui, partant du constat qu’un enfant handicapé ne peut prendre le train seul avec accompagnant SNCF (pareil pour l’avion) comme se le voient proposé les autres enfants, décide de créer un BlablaCar pour eux. Moncopilote.fr priorise la bienveillance, l’inclusion, la mobilité et l’autonomie des personnes en situation de handicap en prenant les codes digitaux actuels. Que du positif.
« Des espaces de colère existent déjà, notamment avec des groupes de mamans sur Facebook où c’est horrible… Je veux me focaliser sur le positif. Je préfère partager des histoires qui inspirent plutôt que des témoignages énervés. » À temps plein sur le projet de manière bénévole, Juliette vient d’être retenue pour un appel à projet et espère agrandir la cartographie eNorme à l’international, ainsi qu’ouvrir une hotline gratuite pour répondre aux nombreuses questions qui lui sont posées chaque jour. « Je suis en train de m’entourer d’une équipe d’experts psy, administratifs, médecins, qui pourront tenir une permanence et constituer à eux tous une sorte de super-assistante sociale. Le projet, c’est de s’agrandir et de se professionnaliser, mais c’est encore un projet ! »
Nathalie Troquereau