Réseaux sociaux

Cyberagressions : apprendre la self-défense numérique

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petite fille avec gants de boxe
Stalker, hater, dick pic, revenge porn, humiliation… Cette liste des agresseurs et de leurs forfaits en ligne pourrait continuer encore longtemps. Des mots qui nous sont à tous familiers, et pourtant, nombre d’internautes ne sait s’en prémunir. Notre méconnaissance des outils et du fonctionnement des réseaux en est en grande partie la cause. S’il est très facile aujourd’hui de s’inscrire à un cours de self-défense, apprendre les rudiments de l’auto-protection en ligne demeure plutôt inaccessible pour le commun des e-mortels.

La violence a toujours existé et trouvé dans chaque nouveau médium ou média un espace d’expression et de propagation. Internet, et les réseaux sociaux en particulier, constituent un nouveau territoire où les règles parfois violentes qui s’appliquent dans la vie, y sont prolongées. Les humiliations publiques qui prenaient place dans une cour de récréation, gagnent en audience quand elles s’exercent sur Instagram. Les personnes agressées sont aussi souvent les mêmes en ligne que dans la rue, au travail ou à l’école. Si les procédés sont anciens, les codes sont inédits et changent au grès des nouveaux réseaux et usages qu’ils proposent. Trop peu de ressources et de moyens de défenses sont proposés à ces victimes, alors que le cyberharcèlement peut toucher n’importe quel internaute actif.

Outils d’autodéfense numériques

Gheyme, 30 ans, a décidé de créer le site web WIQUAYA (qui signifie se protéger en arabe) pour donner des armes aux personnes queer, dont l’identité, considérée parfois comme marginale, occasionne des violences à répétition. Non binaire, geek, libriste convaincu et militant féministe engagé, cet architecte de métier rédige des fiches méthodologiques archi complètes et faciles à comprendre pour répondre aux cyberproblèmes, cas par cas. Comment faire des nudes de manière sécurisée, quels paramètres modifier pour ne pas subir des commentaires offensant ni recevoir des photos à caractère inapproprié, quelles questions je dois me poser avant de publier telle information sur ma vie privée, comment faire mon coming out en ligne… Ces fiches*1 sont de vrais trésors pour qui se perd dans la jungle d’Internet, sans boussole ni protection. Victime de revenge porn, Gheyme s’est promis d’aider à vulgariser les outils numériques à disposition pour que chacun.e puisse se prémunir de toute attaque.

capture d'écran de la landing page du site Wiquaya

« J’ai réalisé ces fiches de cas pratique parce que lorsque j’ai tapé ‘je subis du revenge porn’ sur Internet, tellement de sites sont tombés que je ne savais pas quoi faire. Quand on a moins d’outils d’autodéfense numérique, parce que nos cas sont moins évoqués que d’autres sur Internet, et bien on a plus de chances de se faire coincer. Sur Instagram en ce moment, toute personne qui est grosse, racisée ou qui se promeut comme membre de la communauté queer, peut voir des personnes poster des médailles sur ses publications. Elles servent à indiquer qu’il faut faire un raid sur ce compte, le harceler, c’est-à-dire accabler la personne de commentaires haineux. C’est remonté rapidement à Instagram, qui n’a toujours rien fait. Il se passe des choses assez terribles… »

À l’instar de La Quadrature du net que nous avions interrogé cet hiver, Gheyme conseille le réseau social Mastodon, au fonctionnement plus humain, plus éthique (et « interopérable » nous expliquait-on). Bien qu’il ait été déçu par le gouffre constaté entre les milieux libristes et militants lgbti*2, dans lesquels il évolue depuis plus de dix ans, Gheyme conseille ce réseau social alternatif aux géants bien connus que sont Twitter, Facebook ou Instagram.

« Ce que j’aime bien sur Mastodon, c’est qu’avec ma personnalité et mes particularités, je choisis l’instance qui me correspond. C’est plus humain en fait. La façon dont est faite Mastodon permet d’éviter les raids. Les administrateurs des instances lgbti bloqueront une autre instance connue pour héberger des comptes problématiques – de harceleurs notamment. Sur Twitter, je ne sais pas à qui m’adresser, on va me dire « ah non désolé, votre signalement ne va pas à l’encontre de notre règlementation » et je ne pourrai rien faire d’autre. C’est trop grand par rapport à la personne que je suis. Sur Mastodon, si ça ne me plaît pas, je peux aller sur une autre instance. Je ne sais pas si c’est la volonté première de créer un réseau social plus inclusif et humain, mais c’est en tout cas une des conséquences de la création de Mastodon. En revanche, il existe un outil disponible uniquement sur Twitter que j’aime beaucoup. Ça s’appelle « safeDM ». C’est un filtre qui protège et empêche la visualisation de photos à caractère sexuel non sollicité, comme les dick pics*. Mon travail sur Wiquaya, c’est de rechercher tous ces outils déjà existants, de les centraliser et de les rendre accessibles ».

Gheyme n’est pas seul à agir contre le cyberharcèlement et autres cyberagressions. Une poignée d’associations et de collectifs, souvent dédiés à des publics précis (les femmes, les jeunes, les personnes queer) se mobilise pour armer les internautes encore trop vulnérables. Son site propose d’ailleurs un annuaire avec la liste des acteurs identifiés. Espérons que des sites tels Wiquaya fleuriront, en réponse à l’escalade de violences en ligne, et qu’une société d’internautes mieux éclairée fera d’Internet un espace plus inclusif.

Nathalie Troquereau

*1 toutes les fiches de Wiquaya sont sous la licence Creative Commons, et donc réutilisables par tous, à condition de citer l’auteur et la source

*2 lgbti : lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, intersexes

*3 dick pic : photo de penis

Nathalie Troquereau

Nathalie Troquereau

Journaliste, rédactrice de contenus pour Médias-Cité.