Santé

Qui a peur des femapps ?

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Vous êtes une femme en âge de procréer et vous possédez un smartphone ? Alors vous en avez probablement déjà testé une. Clue, Flo, Period Tracker… les femapps se multiplient depuis quelques années. Pourtant, malgré leur popularité avérée, elles divisent les intéressées. Nouvelle manne pour les publicitaires, espaces de charlatanisme ou outil d’avancées majeures pour la santé féminine ? Tout dépend d’avec qui on le fait.

Alors que le monde de la santé connectée connaît un essor sans pareille, accéléré par l’expérience du confinement, la femtech connaît elle aussi un développement notable. Entre les innovations porteuses d’espoir comme les prototypes de soutiens-gorges connectés capables de dépister le cancer du sein, ou encore les tentatives d’applis diagnostiqueuses d’endométriose ; les idées pour aider les femmes dans leur quotidien physiquement exigeant trouvent aujourd’hui un écho auprès de la société et des investisseur.se.s. La levée de certains tabous comme les règles, couplée à la libération de la parole des femmes ont contribué à faire apparaître une nouvelle branche de la technologie : les femapps. Celles-ci sont entièrement dédiées au suivi du cycle de la femme.

Que ce soit pour être avertie des jours de règles à venir, pour un accompagnement à la conception ou à l’inverse, pour une aide à la contraception, les fonctionnalités comme les contenus proposés sont variés. Selon le suivi voulu, les données renseignées vont varier elles aussi. Or, ce sont peut-être les dernières données personnelles qui passaient encore sous le radar de Google, Apple, et autre insatiables mangeurs de données. Fréquence et jours des rapports sexuels, premier et dernier jours de règles, humeurs du jour, ressenti, température… Les femapps constituent une avancée pour la santé féminine puisqu’elles permettent une meilleure connaissance du fonctionnement des cycles menstruels. Néanmoins, elles représentent aussi un réel danger pour ces informations jusqu’alors sanctuarisées. Nous avons rencontré plusieurs femmes, aux positions et parcours différents. Certaines alertent sur une mauvaise utilisation de ces applications, d’autres encouragent ce mouvement signe de progrès. Qu’elles soient simples utilisatrices ou professionnelles du milieu, d’accord ou pas avec ces nouvelles technologies, toutes livrent un avis fort sur un outil entré dans le téléphone de milliers de femmes*1. ­

Aline Mainix est membre de l’association Nouveaux Cycles, structure bordelaise de sept femmes qui se sont réunies pour libérer la parole autour des règles, de la sexualité, de la santé gynéco, de la contraception, de la conception. « Nous avons fait le constat qu’il n’existait pas vraiment de réponses en personne sur le territoire*2, mais essentiellement en ligne. Nous voulions briser les tabous et changer cela » explique Aline, conseillère en symptothermie et ancienne employée au sein d’une femapp Suisse dénommée Sympto.

« La symptothermie n’est pas reconnue dans le milieu médical mais commence à être peu à peu intégrée par certaines applications. Elle consiste à observer le cycle, la glaire cervicale, à prendre la température, le ressenti et la position du col de l’utérus. Ce n’est pas de la prédiction mais de l’interprétation. Cette méthode a plus de cinquante ans » révèle Aline. « Malheureusement, la plupart des applications ont des algorithmes statistiques qui ne peuvent s’adapter à toutes les femmes. Mon travail chez Sympto était de former les utilisatrices à cette méthode. Quand on télécharge l’app, on peut choisir soit l’app seule qui interagit avec les données qu’on y entre, soit un accompagnement humain en plus. Je suis partie car on fait croire aux femmes que c’est facile et maitrisable. Que si vous rentrez vos données alors tout ira bien, mais c’est plus compliqué que cela. Il suffit que votre cycle sorte du schéma – et c’est très fréquent – (seules 13 % des femmes ovulent le 14ème jour par exemple) alors tout sera erroné. Une app ne doit pas être utilisée seule mais en soutien à un suivi humain et/ou scientifique. Ce sont des données sur notre corps qui sont très liées au psy et qui sont vraiment sensibles : fréquence de la sexualité, douleurs, humeurs… De ce fait, l’app a un pouvoir très fort sur l’utilisatrice. Il faut avoir du recul par rapport aux technologies que l’on utilise, ce sont des algorithmes. On voit parfois des femmes qui essaient d’avoir des enfants et le font sur des dates qui ne correspondent pas à leur cycle, on les retrouve des années plus tard complètement paumées… » alerte Aline.

Noëlle Papay, elle, est une enthousiaste des femtech, des femapps, des femtout. Elle co-dirige la jeune entreprise Dans Ma Culotte, qui propose aux femmes menstruées des protections alternatives à ce qui leur est offert (au sens figuré bien sûr) en magasins. Une nouvelle manière d’aborder les cycles féminins, en prenant en compte toutes ses nuances et variations d’une femme à l’autre. Pour Noëlle, l’apparition d’applications de suivi de cycles ou d’accompagnement à la procréation comme Clue est une excellente nouvelle.

« C’est avec Clue que l’on a entendu le terme de femtech pour la première fois. En 2015, on commençait à peine à parler d’endométriose, parce qu’on ne parlait jamais de règles avant. Ces applications ont permis aux femmes de mieux se connaître, donc de trouver plus facilement une solution pour mieux vivre leur cycle. Ce sont des applications qui peuvent aussi aider à prévenir des problèmes de santé. Cela requiert de rentrer des données très intimes mais chez Clue, ils sont totalement transparents sur la gestion des données. Mieux, ils ont demandé aux utilisatrices si elles voulaient bien céder leurs données personnelles pour que celles-ci soient envoyées à de grandes universités américaines, dans le but de mener des recherches pour améliorer le quotidien des personnes réglées » raconte-t-elle, admirative. Puis de balayer le risque d’intrusion des publicitaires en rappelant le cadre légal et obligatoire du RGPD.

« C’est une question de conscience de la part des utilisatrices quand elles acceptent les conditions d’utilisation. À titre personnel, j’ai utilisé Clue et Period Tracker et je n’ai jamais reçu de publicité malvenue. Je n’en ai pas non plus entendu parler de la part d’autres femmes, mais il faut se dire aussi que certaines ont peut-être envie de recevoir de la publicité ciblée » argue-t-elle.

Amélie, une néo-aquitaine de 38 ans, n’est pas de celles-là. Elle utilise l’application Period Diary depuis environ cinq ans. « Au début, c’était juste pour savoir quand j’allais avoir mes règles, puisque je ne prends plus la pilule*. Quand j’ai commencé à vouloir tomber enceinte, j’ai utilisé l’appli pour savoir quand j’ovulais. Ça a été un échec complet. Au bout d’un an et demi, j’ai compris qu’il y avait un problème et j’ai téléchargé une autre application du genre ­( j’ai oublié son nom, désolée…) et elle m’a donné des résultats totalement différents, beaucoup plus efficaces ! J’ai recommencé à utiliser Period Diary depuis mon accouchement, pour savoir quand j’ai mes règles, point. Mais j’ai appris des choses grâce à ces applis, je sais désormais maîtriser mon cycle et reconnaître mes jours d’ovulation juste par l’observation de mon cycle. Par contre, je n’ai jamais donné d’informations sur mes humeurs car d’une, j’ai trouvé ça trop contraignant quand j’ai essayé : il faut tout renseigner comme dans un journal de bord, et puis j’avais peur de céder mes informations intimes à des inconnus. Jusqu’ici, je n’ai jamais reçu de publicité ciblée en rapport avec les applis, sinon je serais partie direct » tance-t-elle.

À en croire ces divers témoignages, il semblerait que les publicitaires aient encore du mal à infiltrer le précieux temple des femapps, où l’éthique et le respect des données personnelles des utilisatrices primeraient sur la tentation de les vendre au prix fort. Tant mieux, et pourvu que ça dure. En revanche, le discours d’Aline Mainix de l’association Nouveaux Cycles, qui prône l’utilisation d’une appli en complément d’un suivi humain, paraît sensé. Cela peut permettre à certaines femmes d’éviter d’entamer une démarche de conception selon une méthode inadaptée à leur cas particulier, et ce n’est qu’un exemple. Or, ce que l’on retient, c’est que chaque femme a un cycle particulier. Si l’on découvre tout juste les méandres de cette singularité, c’est notamment grâce à la floraison des applications dédiées, qui récoltent autant d’informations qu’elles n’en diffusent. Elles apparaissent plutôt comme un outil de pédagogie et d’éducation au cycle de la femme que comme un assistant à la procréation ou à la contraception, qui détiendrait un mode d’emploi imparable. Noëlle Papay le dit, chacune doit avoir conscience des conditions d’utilisation avant de se lancer. Ajoutons qu’il faut aussi être lucide sur ses attentes et les capacités réelles de l’outil à les satisfaire ou non. Sans cela, le recours aux femapps peut se révéler dangereux pour celles qui les manient.

Nathalie Troquereau

*1 Clue affirme être utilisée par 12 millions de personnes.

*2 Il existe à Bordeaux le CACIS – Centre Accueil Consultation Information Sexualité, un centre médico-social qui accueille, renseigne, anime des ateliers, forme, et mène encore bien d’autres actions sur le territoire.

Pour aller plus loin :

https://www.numerama.com/politique/1023214-lapp-de-suivi-des-regles-clue-nest-peut-etre-pas-aussi-securisee-quelle-le-pretend.html

Nathalie Troquereau

Nathalie Troquereau

Journaliste, rédactrice de contenus pour Médias-Cité.