Yann Leroux est docteur en psychologie. Auteur de « Les jeux vidéos ça rend pas idiot » et de « Mon Psy sur internet. Guide pratique et mode d’emploi de la thérapie en ligne », il se définit comme psy et geek. Alors que le télétravail, le téléshopping ou le téléamour ont bondit durant le confinement, intéressons-nous aux télépsys avec un des pionniers de cette pratique. Une thérapie en ligne de qualité est possible, à condition d’appliquer un sérieux code déontologique et de maîtriser les outils de communication à distance.
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Comment trouve-t-on son psy en ligne ? Comment ça marche ?
Y.L : On le rencontre de plusieurs manières. Soit par contact direct, quand le patient téléphone ou envoie un message à son futur psy. Soit via une plateforme, sorte de clinique virtuelle en ligne, mais ça se pratique plus chez les Anglo-Saxons. Quelles plateformes ? Ah… je ne veux pas trop leur faire de publicité parce je ne suis pas certain qu’en France, ce soit la meilleure des options…
Quels avantages détient la psychothérapie en ligne par rapport à un suivi plus traditionnel ?
Y.L : Premièrement, on peut trouver facilement un professionnel et mettre en place une psychothérapie sans avoir à souffrir des problèmes liés à la distance géographique. Pour toutes les personnes expatriées par exemple, c’est très intéressant. Souvent, les gens qui vivent dans un pays étranger souhaitent faire une psychothérapie dans leur langue maternelle. L’autre exemple fréquent, c’est quand un patient déménage. Avant Internet, on avait pour habitude de mettre fin à la psychothérapie et de souhaiter bon vent au patient. Aujourd’hui, on peut prolonger la psychothérapie en ligne, jusqu’à ce que le processus thérapeutique arrive à sa fin.
Cette démarche séduit-elle plus particulièrement les gens dont la prise de parole est difficile et qui préfèrent passer par l’écrit ?
Y.L : Oui c’est vrai. Quand on communique en ligne, on a une levée importante de l’inhibition et pour la psychothérapie, c’est tout à fait intéressant. On l’a noté pour tous les moyens de communiquer, que ce soit le mail, la visio-conférence ou les messageries instantanées. C’est un starter important pour mettre en place un suivi.
La thérapie en ligne est-elle suffisante ou sera-t-elle elle toujours utilisée en complément ?
Y.L : On peut faire une psychothérapie 100 % en ligne, où le psychothérapeute et le patient ne se rencontrent jamais. C’est tout à fait possible.
Vous le pratiquez ?
Y.L : Je fais les deux. Il y a des patients dont on sait qu’on ne se rencontrera probablement jamais en vrai, juste parce qu’on habite dans des lieux opposés ; certains passent de temps en temps au cabinet, mais je fais aussi thérapie par visio-conférence… L’épidémie de Covid a été un bon exemple de comment les circonstances extérieures peuvent affecter le processus thérapeutique et comment on peut se servir de l’Internet pour pallier ces difficultés là.
La démarche est-elle adaptée à tout type de patients, tout type de troubles psychiques ?
Y.L : Dans les années 2000 les psys y sont allés très prudemment, se disant qu’il fallait prendre des patients dont le fonctionnement n’était pas trop dégradé pour éviter les problèmes. Ce qu’ils craignaient étaient des passages à l’acte suicidaire ou des décompensations psychotiques où les gens commencent à halluciner etc. Vingt ans plus tard, on se rend compte que ces deux dangers ne sont pas plus présents en ligne, donc on a tendance à recevoir tout patient.
On pourrait penser que le fait de se déplacer jusqu’au cabinet, de s’allonger sur un divan (ou pas), d’avoir une confrontation en face à face avec une personne extérieure, que tout cela fait partie de la démarche même d’une psychothérapie. Or, si on se met juste derrière son écran, c’est différent. L’est-ce vraiment ?
Y.L : C’est différent, bien entendu. Le processus en ligne est plus rapide du fait de cette levée d’inhibition et le cadrage n’est pas le même. Parce que le patient vient sur Internet alors que lorsqu’il vient au cabinet, il y a tout un processus qui se produit avant la séance qu’on ne retrouve pas en ligne. Beaucoup d’éléments de la personnalité du psychothérapeute comme la manière dont il décore la salle d’attente ou pas, dont il organise son cabinet, la propreté ou l’absence de propreté des lieux, des objets qui apparaissent ou disparaissent, tout ça sont des éléments d’information sur lesquels le patient s’appuie pour construire une représentation du psychothérapeute. Sur Skype, le patient s’appuie sur Skype, sur le visage du psy et la manière dont il est habillé. Point. Le processus est donc très différent. De l’autre côté, vous n’avez pas le parfum ni l’odeur du patient. Vous ne voyez pas comment il se déplace dans l’espace ni la tribulation des jambes. En revanche, vous allez voir son visage de très près, vous lisez des choses que vous ne pourriez pas lire en face à face. Vous voyez les gens rougir, se déplacer dans le cadre, certains vous amènent dans la maison comme une visite à domicile. Comme tout dispositif, ça permet certaines choses et pas d’autres. Ça dépend de l’habilité et de l’habitude du professionnel avec ce dispositif.
Existe-t-il des risques d’arnaques, de fausses certifications ?
Y.L : C’est un problème qui existe. Il est plus difficile d’avoir des preuves tangibles de la certification du professionnel sur Internet que dans un cabinet. Quand vous vous déplacez, vous constatez que la personne a loué un espace, qu’il y a eut un investissement préalable à l’activité professionnelle. Sur Internet, il suffit de télécharger Skype et de dire que vous êtes psychothérapeute ; vous ouvrez un compte sur Twitter et ça marche. Il faut que les patients prennent le temps de vérifier la certification du professionnel en lui posant des questions, savoir comment il a été formé, quels types de diplômes il a, et comment on peut vérifier qu’il est vraiment ce qu’il dit être. Si le psychothérapeute commence à se mettre en colère en disant qu’il n’a pas à répondre à ces questions-là, il vaut mieux aller voir ailleurs.
Vous avez eu des retours d’escroqueries du genre ?
Y.L : Non, mais il faudrait que les professionnels en France s’organisent et que les patients puissent faire remonter ces plaintes. Il y a une commission déontologique des psychologues qu’on peut utiliser. Il serait intéressant qu’il y ait un conseil de l’ordre des psychologues pour recueillir les plaintes des personnes qui ont des soucis avec des professionnels, en ligne ou en face à face. Il reste du travail à faire pour pouvoir traiter les problèmes quand ils arrivent.
Les consultations sont-elles moins cher en ligne ? Est-ce qu’on assiste à une ubérisation du métier ?
Y.L : Pourquoi ça le serait ? Ça devrait même être plus cher puisque ça demande une expertise supplémentaire ! Mais on voit effectivement se développer des services discount, avec des professionnels qui ont un diplôme de psychologue mais qui l’utilisent comme on le fait dans le low-cost. C’est-à-dire que l’on se paye beaucoup moins cher, avec une pratique très fragmentée. L’idée, c’est de se dire : «Ça marche très bien pour Airbnb, pourquoi ça ne marcherait pas pour les services psychologiques ? » Je crois qu’il y a un grand danger et les professionnels devraient éviter de plonger dans ces pratiques, pour eux comme pour les personnes qu’ils reçoivent. Avec le covid, il y a eu un boost. Le gouvernement a poussé tous les psychologues sur Internet en leur disant de continuer en ligne. On a tout un pan de professionnels qui se sont retrouvés sur Internet avec une compétence technique largement insuffisante. Ils ont du apprendre sur le tas. Ils ont ouvert des groupes Facebook en essayant de se débrouiller entre eux. Mais ça va se développer de plus en plus, on a fait un bon avec le Covid. Jusqu’alors, la télémédecine était en embuscade et elle explose aujourd’hui.
Vous évoquez des plateformes de psychothérapie discount. Quelles sont leurs formules, leurs offres ?
Y.L : La formule : un problème, une solution. J’ai des problèmes avec mon enfant qui n’arrive pas à se coucher et à dormir, qu’est-ce que je fais ? Vous avez 20 minutes de conversation avec un psychothérapeute et il va vous prescrire une solution qui a été validée. Pourquoi pas, mais tout le monde sait que ça ne marchera pas. Au final, la personne aura perdu 20 minutes et de l’argent, le psychologue aura été mal payé et surtout, il n’aura pas bien fait sont travail car on ne peut pas résoudre un problème en 20 minutes. On ne peut pas connaître une personne et le lien particulier qu’elle a avec son enfant en si peu de temps.
Comment est gérée la question de la confidentialité et de la protection des données, très personnelles, des patients ? Ces plateformes discount pourraient envisager de les vendre pour faire du profit ?
Y.L : Je n’ai pas encore eu vent de problème de ce type mais c’est une question qui doit être abordée avec le patient quand il commence. La confidentialité ne peut pas être assurée quand on utilise Skype. C’est un gros tuyau sur lequel les oreilles de la NSA sont posées donc il y a toujours des possibilités de fuites. De façon plus concrète, ça veut dire qu’à chaque fois que la personne a une consultation Skype, ça laisse une trace, mais c’est à elle de gérer ça. Alors que quand il se déplace au cabinet, il n’y a pas de trace comme ça.
Alors pourquoi utiliser Skype ?
Y.L : Skype n’est pas le meilleur, mais j’ai pour habitude d’utiliser les logiciels avec lesquels les patients sont à l’aise. Du point de vue de la confidentialité il existe de meilleurs logiciels sans aucun doute, mais il est très important que la personne soit à l’aise pour que la séance ait lieu et que le temps passé en séance ne soit pas consacré à apprendre l’utilisation du logiciel.
Si la thérapie en ligne se révèle moins cher et moins inhibante, touche-t-elle un public d’habitude éloigné de ces soins pour des raisons financières et/ou culturelles ?
Y.L : C’était le grand espoir des psy pionniers des années 2000. Mais non. En libérale, on a le même type de clientèle. Nous pensions qu’Internet étant une ressource largement abordable, il permettrait à des patients qui habituellement ne font pas appel aux psychothérapeutes de profiter de leurs services. On se rend compte que ce n’est pas le cas, on a loupé quelque chose. En cabinet, ça reste la classe moyenne et supérieure. Si vous êtes dans les classes ouvrières, vous avez très peu de chances de vous retrouver en libérale devant un psychothérapeute. Parce qu’il y a un tri social important. Pour le même type de difficulté, un fils de médecin va aller voir un psy en libérale et sera maintenu dans son établissement scolaire, mais le fils de prolo va se retrouver dans un établissement spécialisé. Ça ne donne pas envie. Peut-être qu’il y a un travail en réseau à creuser avec les MJC et autres centres d’animations, un travail de maillage à faire. Aller les voir et leur dire qui on est et comment on travaille.
La thérapie en ligne va-t-elle remplacer le modèle traditionnel de la consultation en face-à-face ?
Y.L : Non, les gens qui veulent consulter en face à face viendront quand même, d’autres pourront profiter des deux propositions. C’est surtout des suivis en multicanal, et le job, c’est de tresser tout ça. C’est une polyphonie ! On peut faire du David Ghetta « cabinet-cabinet-cabinet-cabinet » ou du Mozart, en utilisant tous les sons donnés par le patients : texto-mails-lettres-visio-etc.
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Propos recueillis par Nathalie Troquereau
Le blog de Yann Leroux
dessin by Undraw