Les campagnes et discours de prévention, de diabolisation des écrans auprès des jeunes fleurissent et prospèrent alors que, simultanément, les postes de médiateurs numériques s’ouvrent et les plans de lutte contre la fracture numérique se multiplient. Pour le dire de manière plus caricaturale, on intime aux enfants de s’éloigner des diaboliques écrans qui pourraient bien leur cramer le cerveau tandis qu’on presse les plus âgés à se connecter pour qu’ils soient en mesure d’assurer le minimum administratif qui les concerne.
On donne des leçons à tout le monde, nous qui nous situons dans la tranche des jeunes actifs-jeunes parents ou experts pas encore retraités. Notre parole est dominante. Nous jugeons les petits comme les vieux, à longueur de journées, au lieu de nous occuper de notre cas. Parlons-nous aussi souvent, à la radio et dans les grands titres de presse, des dangers de poster des photos et vidéos de ses enfants sur les réseaux sociaux ? Du fait qu’on ne leur a pas laissé le choix d’une telle exposition ? Beaucoup moins que des ados rivés à leur jeu vidéo un beau week-end de juin, malgré ce magnifique soleil. Quel malheur quand même. Si ça se trouve, les gamins sont en train d’apprendre le débarquement en jouant à Invasion Normandy alors que les parents mettent en dangers leurs bébés en les livrant, gratis, via leur compte Instagram, à de potentiels réseaux de pédopornographes hypers actifs sur le net.
Mais ça met la sale ambiance, donc on préfère taper sur les jeunes qui sont impossibles à toujours vouloir nous taxer notre téléphone, jusqu’à temps qu’ils en possèdent un. On se demande bien où ils sont aller chercher ça, de passer des heures scotchés sur un fil d’actu à scroller à l’infini. Que celui qui n’a jamais subi ou adopté ce comportement à table ou lors d’un quelconque moment en famille leur jette la première pierre. Elles ne seront pas nombreuses à s’abattre. Le déni du mimétisme qui pourtant forge les habitudes et désirs de nos enfants paraît démentiel au regard de son ampleur collective. Et le dégoût de certains de nos aînés pour ces petits objets connectés qui se sont infiltrés dans tous les interstices de nos vies n’a rien d’étonnant non plus.
Comment réconcilier tout ce monde et trouver un peu de nuance ? Peut-être en commençant par gommer les discours perclus d’une novlangue inaudible pour ceux qui ne côtoient pas assez les start-uppers-incubateurs-inspirants-bienveillants et disruptifs à la fois. Prônons un numérique ouvert et simple, qui servira le partage des connaissances, accessibles au plus grand nombre ! Revenons aux fondements d’Internet ! Ceci n’est pas une leçon mais bien un souhait. Nous ferons en sorte, à notre humble niveau, de continuer à présenter le web sous un autre angle, celui de la réflexion et de la démocratisation.
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Nathalie Troquereau